Le norvégien Johan Severin Svendsen a surtout été connu comme chef d’orchestre en son temps. Ce collègue d’Edvard Grieg a étudié, comme nombre de ses compatriotes, au Conservatoire de Leipzig. Il a vécu à Paris, s’est promené ici et là en Europe, a fréquenté Wagner à Bayreuth, puis s’installa définitivement à Copenhague. C’est là qu’il composa sa 3e symphonie, malheureusement jetée au feu par sa femme dans un excès de jalousie! Il ne s’en remit pas tout à fait, et composa peu jusqu’à sa mort en 1911.
Son travail symphonique est respectable, à défaut d’être tout à fait personnel. Sa musique est souvent pompeuse, orchestrée avec talent et goût, d’un romantisme familier. On pourrait la décrire comme du Wagner léger, parfois proche de Schumann (allegro symph. 2). Il s’affiche pourtant à son meilleur lorsqu’il adapte des mélodies scandinaves qu’il a puisées dans ses voyages. Terje Mikkelsen et l’orchestre de Lettonie jouent, avec tout le brio nécessaire, l’oeuvre de Svendsen, témoin important de la vie musicale de l’Europe du Nord au 19e siècle.
Trois Symphonies. Rhapsodies norvégiennes. Suites orchestrales. Poèmes symphoniques. Ouvertures.
Marianne Thorsen, violon.
Ragnhild Hemsing, violon Hardanger.
Enregistré à Grieghallen, Bergen en 2009/2010.
Ingénieur: Ralph Couzens
Chandos. 2014. CHAN 10834(4). 4cds. 306m5s.
Appréciation: Superbe*****
Fidèle représentant de la musique norvégienne, ami et gendre du grand Edvard Grieg, Johan Halvorsen est un compositeur que l’on doit absolument découvrir. Excellent musicien, il débuta comme premier violon au sein d’un orchestre amateur de Bergen. Grâce à une bourse de mécènes, il s’établit pendant deux ans à Leipzig pour compléter ses études. Quand il revint en son pays, il prit en charge l’orchestre de Bergen et se consacra surtout au théâtre. À la fin de sa carrière, et libéré de ses obligations, il composa trois symphonies qui demeurent encore peu connues. Pourtant, elles recèlent de précieux trésors et peuvent être vues comme la continuité de Grieg. Ce dernier ne s’essaya au genre qu’une seule fois à l’âge de vingt ans (Symphonie en do mineur).
Fossegrimen op.21 pour Hardanger et Orchestre
Andante Symphonie no.3
Norske Eventyrbilleder op.37 (Scènes de contes norvégiens)
Comme compositeur, il fut respecté du public et de ses congénères. Sa musique est riche en images, très cinématographique, superbement orchestrée et inspirée du folklore norvégien. Ses oeuvres sont peuplées de trolls, princesses, contes et légendes de la Scandinavie. Halvorsen propose, dans ces récits imaginaires, une musique descriptive à souhait, brillante et jubilatoire. Ce maître du nord, injustement oublié, nous entraîne avec lui dans l’aventure, la féérie et la magie d’un monde figé par le froid.
Ce coffret Chandos est d’une indéniable qualité. Le vénérable chef estonien Neemi Järvi a pris grand soin, comme à son habitude, de polir son interprétation. Une impression de fini glacé semble avoir été sa signature parmi ses nombreux enregistrements. Il s’est d’ailleurs fait une spécialité d’interpréter la plupart des compositeurs de l’Europe du Nord. À noter la présence de la violoniste Ragnild Hemsing qui joue sur un authentique Hardanger, instrument typiquement norvégien à neuf cordes. Les quatre cordes frottées font résonner en sympathies les cinq autres situées en dessous du chevalet. Sa sonorité singulière évoque la vie paysanne de ces contrées nordiques. Halvorsen est l’un des seuls à avoir composé pour cet instrument particulier.
Enregistré à Danish Concert Hall, Copenhague en 1996.
Ingénieur: Jorn Jacobsen.
Dacapo Records. 1996. 8.224042. 69m11s.
Appréciation: Superbe*****
Johann Peter Emilius Hartmann est un compositeur danois issu d’une grande famille de musiciens. Il vécut très longtemps, traversant presque tout le 19e siècle. On l’appelait parfois le Vieux Hartmann, et son style musical cité comme le Vieux Nord. Il est considéré, avant Niels W. Gade, comme « le véritable fondateur du Romantisme danois, et même du Romantisme scandinave tout entier » (Alfred Einstein, La Musique Romantique). Il a laissé une oeuvre abondante dans plusieurs genres, en particulier au théâtre dans des ballets, ouvertures, opéras, mélodrames, et a écrit des cantates pour toutes sortes d’occasions. Sa mort en 1900 provoqua un grand deuil national et sa perte fut perçue comme la fin de « L’Âge d’or danois ».
Moderato/Allegro Symph no.1
Andante Symph no.1
Menuetto Symph no.1
Intermezzo Symph no.2
Il n’a écrit que deux symphonies qu’il a cependant élaborées lentement et avec grand soin, à l’image de Brahms qui fut également très méticuleux. Ces oeuvres, de très bonne qualité, restent encore en marge des grands courants du romantisme. L’influence germanique est encore présente, et Hartmann ne semble pas avoir voulu intégrer à sa musique des éléments folkloriques. Ce qui nous charme dès le départ sont ses motifs très accrocheurs à l’oreille, une spontanéité engageante et un sens efficace de la narration, vue ici comme des récits idylliques familiers. Il y a dans sa musique un mélange idéal de Mendelssohn, Schumann, et même Tchaïkovsky. J.P.E. Hartmann a définitivement une place au côté des plus grands de son époque, et surtout dans nos salles de concert. Excellente interprétation et prise de son.
Wild nights – Wild nights! Were I with thee Wild nights should be Our Luxury! Futile – the winds – To a Heart in port – Done with the Compass – Done with the chart! Rowing in Eden – Ah – the Sea! Might I but moor – tonight – In thee! (Emily Dickinson. 1830-1886)
Into the Mist
On the way back […] I suddenly stop. But the sound of my footsteps goes on, into the mist. (Søren Ulrik Thomsen, 2011)
Comment décrire la musique du danois Bent Sorensen? L’auteur de ses lignes a abandonné l’idée dès la première écoute de sa Passion selon St-Matthieu. Il est évident que l’on se retrouve dans un ailleurs étrange, très loin du chef-d’oeuvre de Bach. Je me suis engagé dans cette zone aux frontières diffuses, sans repère. J’ai laissé tombé l’effort de tenter d’en expliquer les choses, et puis, au fur et à mesure de cette exploration à tâtons, comme un non-voyant, j’ai perçu et reçu cette musique.
C’est en 2014 que Sorensen eut l’idée ambitieuse de ce projet.
»Quand on arrive à un certain âge, on devient conscient, en tant que compositeur, qu’il existe une limite à ce que l’on pourra composer. Ainsi, sans dire un mot à qui que ce soit – commanditaires possibles, institutions, etc. – j’ai décidé que tout ce que je composerais à partir de ce moment-là me mènerait à une Passion selon Saint Matthieu. »
La composition s’est faite progressivement en plusieurs fragments. Le livret est un amalgame de versets de l’évangile selon Matthieu et de divers poèmes, extraits de textes provenant de six poètes de différentes nationalités et d’époques. L’anglais a été choisi pour traduire les textes, et le latin de la liturgie habituelle. Comme pour l’oeuvre de Bach, l’orchestre a été divisé en deux. Le choeur est souvent sollicité, duquel des voix solistes participent pour des passages spécifiques. Par contre, il n’y a aucun récitatif d’un évangéliste. Séparée en dix stations, la narration suit vaguement le récit des derniers instants du Christ, en parallèle diffus avec les paroles des poètes.
Le Choeur des Solistes de Norvège est d’un niveau technique impressionnant, d’une grande justesse malgré la superposition complexe des tonalités. Les solistes et musiciens sont tous également d’une perfection infaillible.
La musique suit la plupart du temps un schéma contemplatif. Elle donne aux paroles un aspect onirique, créant des visions étranges de beauté. Elle est composée à la fois de plusieurs couches atonales et tonales, de sons d’instruments à vents et de textures de cordes inusitées. Il y a autant de moments obscures que lumineux. Les thèmes sont universels: l’angoisse, l’abandon, le deuil, mais également l’amour, la lumière et l’espoir.
Cette Passion est plus qu’une oeuvre, c’est une nouvelle expérience musicale et mystique de notre temps. Elle combine tout, le passé et le présent, l’humanité et la divinité. À travers la brume, motif narratif choisi du compositeur, l’auditeur devient un spectateur de différents tableaux qui passent devant lui, sans qu’il puisse vraiment en saisir tout le sens. Car la vie se garde une grande part de mystère.
»Mon idée pour ma Passion était un voyage dans la brume – en pénétrant dans la lumière et en en sortant. Un voyage vers le crucifiement, mais surtout un voyage vers la résurrection. Je ressentais ma propre foi, une foi en la résurrection plutôt qu’en la mort. » Bent Sorensen.