Sorensen, Bent (n.1958) Passion selon St-Matthieu. Norwegian Soloist’s Choir. Grete Pedersen.

Posted in Sorensen on 19 mars 2023 by René François Auclair

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Passion selon St-Matthieu (2019)

The Norwegian Soloist’s Choir.

Ensemble Allegria.

Enregistré à Ris Kirke, Oslo en 2022.

Ingénieur: Nora Brandenburg.

BIS Records. 2023. BIS-2611. 64m.44s.

Appréciation: Superbe*****

In Veils of Mist

Wild Nights

Wild nights – Wild nights!
Were I with thee
Wild nights should be
Our Luxury!
Futile – the winds –
To a Heart in port –
Done with the Compass –
Done with the chart!
Rowing in Eden –
Ah – the Sea!
Might I but moor – tonight –
In thee! (Emily Dickinson. 1830-1886)

Into the Mist

On the way back […]
I suddenly stop.
But the sound of my footsteps
goes on, into the mist. (Søren Ulrik Thomsen, 2011)

Comment décrire la musique de Bent Sorensen? L’auteur de ses lignes a abandonné l’idée dès la première écoute de sa Passion selon St-Matthieu. Il est évident que l’on se retrouve dans un ailleurs étrange, très loin du chef-d’oeuvre de Bach. Je me suis engagé dans cette zone aux frontières diffuses, sans repère. J’ai laissé tombé l’effort de tenter d’en expliquer les choses, et puis, au fur et à mesure de cette exploration à tâtons, comme un non-voyant, j’ai perçu et reçu cette musique.

C’est en 2014 que Sorensen eut l’idée ambitieuse de ce projet.

 »Quand on arrive à un certain âge, on devient conscient, en tant que compositeur,
qu’il existe une limite à ce que l’on pourra composer. Ainsi, sans dire un mot à qui
que ce soit – commanditaires possibles, institutions, etc. – j’ai décidé que tout ce
que je composerais à partir de ce moment-là me mènerait à une Passion selon Saint
Matthieu. »

La composition s’est faite progressivement en plusieurs fragments. Le livret est un amalgame de versets de l’évangile selon Matthieu et de divers poèmes, extraits de textes provenant de six poètes de différentes nationalités et d’époques. L’anglais a été choisi pour traduire les textes, et le latin de la liturgie habituelle. Comme pour l’oeuvre de Bach, l’orchestre a été divisé en deux. Le choeur est souvent sollicité, duquel des voix solistes participent pour des passages spécifiques. Par contre, il n’y a aucun récitatif d’un évangéliste. Séparée en dix stations, la narration suit vaguement le récit des derniers instants du Christ, en parallèle diffus avec les paroles des poètes.

Le Choeur des Solistes de Norvège est d’un niveau technique impressionnant, d’une grande justesse malgré la superposition complexe des tonalités. Les solistes et musiciens sont tous également d’une perfection infaillible.

La musique suit la plupart du temps un schéma contemplatif. Elle donne aux paroles un aspect onirique, créant des visions étranges de beauté. Elle est composée à la fois de plusieurs couches atonales et tonales, de sons d’instruments à vents et de textures de cordes inusitées. Il y a autant de moments obscures que lumineux. Les thèmes sont universels: l’angoisse, l’abandon, le deuil, mais également l’amour, la lumière et l’espoir.

Cette Passion est plus qu’une oeuvre, c’est une nouvelle expérience musicale et mystique de notre temps. Elle combine tout, le passé et le présent, l’humanité et la divinité. À travers la brume, motif narratif choisi du compositeur, l’auditeur devient un spectateur de différents tableaux qui passent devant lui, sans qu’il puisse vraiment en saisir tout le sens. Car la vie se garde une grande part de mystère.

 »Mon idée pour ma Passion était un voyage dans la brume – en pénétrant dans la
lumière et en en sortant. Un voyage vers le crucifiement, mais surtout un voyage
vers la résurrection. Je ressentais ma propre foi, une foi en la résurrection plutôt
qu’en la mort. »
Bent Sorensen.


Unicum. Leuven Chansonnier. Ensemble Leones.

Posted in Anonyme with tags on 6 mars 2023 by René François Auclair

2KULTURE LOGO SQUARE MASTERNew Songs from the Leuven Chansonnier (c.1470).

Ensemble Leones. Marc Lewon, direction.

Enregistré à St-Leodegar Kirche, Grenzach, Allemagne.

Enregistré en juillet 2021. Ingénieur: Michaela Wiesbeck.

Naxos. 2023. 8.574395. 74m.35s.

Appréciation: Sommet du Parnasse******

Ou beau chastel est prisonnier

Ou beau chastel est prisonnier mon cueur
de celle ou monde ou a plus de doulceur,
beaulté, bonté [et] courtoisie aussi,
et touteffoix ne peult avoir mercy
n’alegement de sa dure langeur.

En atendant vostre venue

En atendant vostre venue,
mon bien que je desire tant,
une heure me dure bien cent
quant de vous seul je pers la veue.

Bien souvent seullete, esperdue,
je passe mon temps en pleurant.

Mais bon Espoir m’a maintenue
et de son bon gré m’asseurant
que je vous reverray briefment,
Qui en joye m’a entretenue.

Par Malle Bouche la cruelle (arr.Mark Lewon)

Oublie, oublie

Oublie, oublie, oublie, oublie, [oublie],
Oublie, oublie, [oublie] tes dolours,
Leal amant, car venus sont les jours
Que de Dangier ne donne[s] une oublie.

Le Leuven Chansonnier est un recueil de pièces qui a été découvert en 2015 dans la ville du même nom (Louvain) en Belgique. C’est un petit livre dont la reliure originale est demeurée intacte. Il aurait été copié vers 1470 dans la vallée du Loire. Le parchemin contient environ 50 pièces, la plupart anonymes. Pour le monde de la musique ancienne, cette découverte sensationnelle vaut celle d’archéologues découvrant une nouvelle tombe en Egypte!

Les chansons ont été écrites, pour la plupart, dans un vieux français. Celui-ci est d’ailleurs fort bien prononcé par les membres de l’Ensemble Leones. Les voix sont particulièrement claires, d’un lyrisme d’une grande pureté. On aime également les différents timbres vocaux de chaque intervenant, apportant une belle variété de textures. De forts beaux arrangements instrumentaux accompagnent les chanteurs. Il y a le luth, vielle ou violon de la Renaissance, et une viola d’arco. Ce trio à l’ancienne, minimaliste, nous offrent à l’occasion des intermèdes. Les oeuvres ont été écrites en forme du rondeau, répétées comme dans un cycle perpétuel. L’effet musical procure un genre de trans hypnotique, se balançant toujours au gré d’un rythme binaire. La musique et les paroles apportent une quiétude bienheureuse tout le long de l’écoute.

Après de longues années dans l’obscurité, soit 545 ans, ce petit livre nous fait voir maintenant toute sa lumière. En lisant les paroles, (traduites également en anglais qui en facilite la compréhension), on y redécouvre l’art de la déclamation poétique de l’époque. Ces très anciens poèmes émeuvent encore. On y parle souvent d’amour éperdu, de charme ou de désir, sentiments que nous éprouvons encore cinq siècles plus tard. Ce disque remplit de merveilles est d’un envoûtement total.

Mahler, Gustav (1860-1911). La 5e Symphonie. Orchestre Symphonique de Montréal. Rafael Payare.

Posted in Mahler with tags on 4 mars 2023 by René François Auclair

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Symphonie no.5 en do dièse mineur. 1901-1902.

Enregistré à la Maison Symphonique, Montréal en août 2022.

Ingénieur: Richard King. Coproduit par Carl Talbot.

Pentatone. 2023. PTC 5187067. 67m.

Appréciation: Sommet du Parnasse******

Trauermarsch (extrait)

Sturmisch bewegt (extrait)

Scherzo (extrait)

Adagietto

Rondo-Finale (extrait)

La cinquième symphonie de Mahler est souvent connue uniquement que par son admirable Adagietto. Elle est considérée comme l’une de ses plus personnelles, véritable livre ouvert sur sa propre vie, elle renferme tous les thèmes qui lui sont chers. Suite à une grave maladie où il est venu près de mourir, Mahler entreprit ce grand projet symphonique, écrit en cinq mouvements. On pourrait la décrire comme les cinq étapes d’une vie. La mort (Marche funèbre). Les combats (2e mouvement). Le désir de vivre (Scherzo). L’amour (Adagietto). La joie triomphante (Finale).

Rafael Payare, récemment nommé directeur artistique de l’OSM, prend la relève de Kent Nagano qui en fut le chef de 2006-2020. Très estimé à Montréal, Nagano est demeuré chef émérite et vient à l’occasion diriger l’orchestre le temps d’un concert. Après Decca et Analekta, c’est maintenant au tour de Pentatone de collaborer avec l’ensemble montréalais.

Le label néerlandais, reconnu pour la qualité de ses enregistrements, a produit ici un album digne des plus grands. La présentation du livret est somptueuse, les photographies, les textes tous traduits en français, l’analyse éclairante de l’oeuvre par le musicologue Guy Marchand, les noms de tous les musiciens participants; on n’a pas lésiné sur les détails importants. Mentionnons la présence de l’ingénieur Carl Talbot, qui a travaillé souvent à la Maison Symphonique, apportant son expertise à l’équipe de Pentatone. Bref, on est à des années-lumières des malheureux livrets d’Analekta!

La prise de son? Elle est d’une indéniable présence, à la fois englobante et détaillée. Les cordes, en particulier, sont mises de l’avant sans restriction. L’auditeur est littéralement plongé au coeur de l’action. Les différents tableaux prennent vie, gorgés de couleurs somptueuses. Au disque, Mahler a été souvent restitué de manière explosive et parfois stridente. À l’opposé, les ingénieurs de Pentatone ont réussi ici à adoucir les angles, offrant une écoute des plus agréables, et ce, malgré les passages parfois surchargés de musique par l’excessif Mahler!

L’interprétation? Rafael Payare charge l’orchestre d’une énergie irrésistible, sans jamais être outrancier ou en perte de contrôle. Il y a beaucoup de chaleur dans son approche, la cohésion et la rigueur n’y faisant jamais défaut. L’expression est juste, évitant la grandiloquence. Il sait capter l’attention par une direction ferme, gardant sous son pouvoir toutes les forces qui s’y meuvent. On sait à quel point la musique de Mahler demande un niveau extrêmement élevé d’exécution. Ici, l’OSM fait preuve d’une incroyable unité organique, jouant avec une implication nouvelle. Les musiciens semblent dynamisés (fugato début rondeau-finale!!!) et offrent également de splendides passages solos. La section des cors, digne de leur réputation, est d’une justesse particulièrement magnifique.

Pour le célèbre Adagietto, Payare a choisi un tempo plus léger, qui se lit plus comme un Andante. Mais ce qui m’a le plus fasciné, c’est la façon qu’il a d’en réciter le discours. À proprement parlé, comme si la musique prenait la forme d’une conversation, subtilement improvisée, comme une confidence. C’est si beau, prenant, on écoute les yeux fermés. Mahler parle avec son coeur et s’adresse à Alma, sa femme… Rafael Payare vient de nous convaincre totalement. Une ère nouvelle vient de se lever à Montréal. Un grand disque.

Bach, J.S. (1685-1750) Les Suites Françaises. Ewa Mrowca, clavecin.

Posted in Bach J.S. on 15 février 2023 by René François Auclair

5902547017594Les 6 Suites Françaises bwv 812-817.

Ewa Mrowca, clavecin Bruce Kennedy d’après Ruckers, 2020.

Enregistré au Château Lidzbark Warminski, Pologne en 2021.

Ingénieur: Marcin Domzal.

Dux. 2022. Dux.1759-60. 2cds. 1h.48m.

Superbe*****

Suite no.1 en ré mineur

Suite no.5 en sol majeur

La claveciniste polonaise livre une solide interprétation de ces suites de Bach. La lecture qu’elle en fait est placide et sans extravagance. Le débit est régulier, calme et pondéré comme le pratiquait le regretté claveciniste canadien Kenneth Gilbert (1931-2020), et dont Mme Mrowca semble avoir pris comme modèle, puisqu’elle l’a eu comme maître.

Le clavecin, qui a servi à l’enregistrement, est construit à partir d’un modèle flamand du facteur Joannes Ruckers (1578-1642). Il possède deux claviers et un jeu de luth, que malheureusement nous n’entendrons pas ici. Ewa Mrowca utilise souvent le plein registre du clavecin, ce qui nous prive un peu des différentes textures que l’on aurait aimé appréciées. La prise de son est vaste et profite de la réverbération des lieux, à la limite du bon goût et de la lisibilité de la musique. Par contre, cela donne à l’instrument une impression de grandeur impériale.

La musique de Bach suit son cours à travers les siècles, et les Suites Françaises demeurent encore aujourd’hui très appréciées, comme ce fut le cas au 18e siècle. Oeuvres simples et belles, didactiques ou pour le plaisir, ces Suites pour le Clavessin continuent d’opérer leur charme sur nos esprits. 

OIP