Posted in Royer with tags Les Sommets on 4 juin 2023 by René François Auclair
Ballets Héroïques en suites orchestrales.
Pyrrhus (1730). Zaïde (1739).
Le Pouvoir de l’Amour (1743). Almasis (1748).
Enregistré à Notre-Dame-du-Liban, Paris en 2021.
Ingénieur de son: Gaëtan Juge.
Aparté. 2023. AP298D. 81m.
Appréciation: Sommet du Parnasse******
Ouverture de Zaïde
Entrée des Africains de Zaïde
Pour les Turcs de Zaïde
Chaconne du Pouvoir de l’Amour
Surprenant Royer! Ce disque est en effet une grande surprise dans le monde de la musique baroque. Jusqu’à récemment, Joseph-Nicolas-PancraceRoyer était surtout connu pour ses pièces de clavecin flamboyantes, d’un niveau technique difficile. Contemporain du grand Rameau, Royer fit sa marque à l’opéra français au milieu 18e siècle. Au service de la famille royale, il composa une musique fastueuse, typique de la grande période française qui avait commencé avec Lully. Lorsqu’il décéda, il fut vite oublié, puisque les goûts musicaux de cette époque transitoire changèrent rapidement.
Christophe Rousset connait bien Royer, puisqu’il avait gravé pour Oiseau-Lyre son oeuvre pour clavecin. Grand spécialiste de la musique française, il revient en force avec ses Talents Lyriques pour nous présenter ce compositeur étonnant. Il y a bien des similitudes avec Rameau, le savant. Royer, quant à lui, est beaucoup plus fantasque, aux idées bouillonnantes et imprévisibles.
Les Talents Lyriques joue à fond la caisse cette musique qui fouette le sang! Contrastes abruptes, virtuosité polyphonique, couleurs acérées, tout y passe dans ces enchaînements de tubes que nous découvrons pour la première fois. Royer sait divertir et accrocher l’oreille au passage d’une musique aussi stimulante qu’originale. Le Roy est mort, vive le Royer!
Stéphane Tétreault et Olivier Hébert-Bouchard nous offrent ici l’un des plus beaux albums récents consacré au génie Debussy. Images Oubliées est le résultat d’un travail fort louable de transcriptions que le duo a accomplit à partir de pièces originalement écrites pour piano solo ou pour deux pianos. Seule l’énigmatique Sonate pour violoncelle et piano de 1915 est originale.
C’est en se basant sur cette oeuvre, unique en son genre, que les musiciens ont réimaginé les autres pièces en respectant les idées de Debussy quant à l’idiome du violoncelle et son interaction avec le piano. À peu près toutes les techniques de jeu de l’instrument à cordes ont été exploitées: pizzicato, glissando, harmoniques… Au sein de pièces connues ou peu entendues, le duo est en constante conversation, se mouvant ou se répondant l’un à l’autre, grâce à un ingénieux sens du discours. Les oeuvres prennent ainsi un nouvel aspect, inusité, mais d’une fonctionnalité étonnante. On aurait seulement désiré un peu plus de panache à certains passages animés, chose qui s’ajustera sûrement en récital par la suite.
Debussy, c’est la musique du vague à l’âme, celle des sensations et des images. C’est le langage de la dissolution des formes, des teintes rêveuses et de la mélancolie douce. Le duo a tout saisi et compris Debussy. Sans rien dénaturer son esprit, ils nous proposent une magnifique alternative à son oeuvre. Nous n’entendrons plus jamais le Clair de Lune de la même façon.
Comparaison: Images Oubliées »Nous n’irons plus au bois » Jean-Pierre Armengaud. Arts Music. 2005.
Benjamin Britten (1913-1976): Concerto en Ré mineur op.15 (1939)
Max Bruch (1838-1920): Concerto no.1 en Sol mineur op.26 (1864-66)
In Memoriam op.65 (1893)
Kerson Leong, violon Guarneri del Gesu, ex Baumgartner. (Canimex)
Enregistré à Fairfield Halls, Croydon, UK en 2022.
Ingénieur du son: Mike Hatch.
Alpha Classics. 2023. Alpha 946. 73m.
Appréciation: Sommet du Parnasse******
Deuxième mouvement du Concerto de Britten (extrait)
Adagio du concerto de Bruch (extrait)
In Memoriam de Bruch
Kerson Leong est né à Ottawa en 1997. Il a commencé très tôt l’apprentissage du violon. Quelques années plus tard, il a gagné de nombreux prix, dont le fameux Yehudi Menuhin Competition en 2010. Depuis ce jour, la vie du violoniste canadien a radicalement changé. Son mentor, Augustin Dumay, déclare que son protégé est l’un des plus grands violonistes du 21e siècle. La critique musicale est dithyrambique. Le Monde, Classica, Diapason, Gramophone, The Guardian, pour n’en nommer quelques-uns, sont tous d’accord pour affirmer qu’il fait partie des grands de ce jour. Après avoir passé entre les mains d’Analekta et Warner Classics, le voici maintenant chez l’excellent label Alpha Classics, où le musicien s’est fait remarqué sur un disque consacré aux sonates de Ysaÿe. Maintenant, le violoniste propose deux concertos complètement à l’opposé l’un de l’autre. Le premier, de Britten, une oeuvre difficile et troublante, et celui de Bruch, d’un classicisme réconfortant.
Le Concerto de Max Bruch est, depuis sa création, l’un des plus connus du répertoire. Grand concerto de l’époque romantique, il a éclipsé à lui seul toutes les oeuvres du compositeur. C’est une oeuvre généreuse, virtuose, d’un lyrisme attachant. Bruch avait fait appel au célèbre violoniste Joseph Joachim pour ses conseils, le compositeur n’étant pas violoniste de formation.
Kerson Leong nous saisit dès l’introduction du premier mouvement. Disons le tout de suite, nous sommes en présence d’un absolu dans le monde du violon. Justesse de son inouïe, plénitude et finesse, lyrisme et intensité, ce violon nous chavire l’âme. C’est de la grande inspiration, qui se présente au détour d’une formidable maîtrise technique. L’Adagio, célèbre chant du coeur, émeut et soutire les larmes. Coulant comme une rivière, belle comme une déclaration d’amour, Leong l’interprète pourtant d’une manière pudique, sans trop d’emphase, se réservant un vibrato subtil pour en décrire les états d’âme. C’est si beau. Le Philharmonia, très organique et mouvant, est d’une chaleur d’accompagnement idéale. Patrick Hahn, jeune chef autrichien, a réussi à créer une fusion palpable des musiciens avec le soliste.
Le Concerto de Britten, composé en 1939, est une oeuvre dite sérieuse, avec, comme toile de fond le tragique de la guerre. On dit que Britten présenta la partition au légendaire Jasha Heifetz (1899-1987), celui-ci la trouvant injouable. Les défis techniques sont nombreux et demande au musicien un niveau d’engagement total. Kerson Leong a choisi cette oeuvre particulière en lien avec les événements mondiaux actuels. Concerto aux différents états psychologiques, il débute presque comme une danse espagnole, mais change rapidement en férocité cinglante. Il se conclut par une pathétique Passacaille, constat quasi-désespérant sur la nature humaine. Ce n’est visiblement pas un concerto qui »fait lever les foules », selon James Ehnes, célèbre violoniste canadien.
Au-delà des passages d’une virtuosité hallucinante, où le musicien livre une bataille sans merci, Kerson Leong réussit à nous bouleverser. Le deuxième mouvement est si brillant, morceau de bravoure, qu’il procure des moments indescriptibles. Des aiguës extrêmes, (des cris selon Leong), staccatos endiablés, glissandos vertigineux, tous parfaitement maîtrisés, Leong va encore plus loin jusqu’à un point de non-retour. Un sommet dans l’interprétation de cette oeuvre moderne, qui prend tout son sens aujourd’hui. Pour le musicien, si jeune, mais déjà grand, c’est la consécration. Rien de moins.
Enregistré à la salle Pierre Boulez, Philharmonie de Paris en 2021.
Prise de son: Hugues Deschaux.
Harmonia Mundi. 2022. 902691.93. 2h.40m.
Appréciation: Superbe*****
Aria Ach nun ist mein Jesus (Lucile Richardot)
Choral Bin ich gleich (a cappela)
Aria Mache dich meine Herze (Stéphane Degout)
Recitatif Mein Jesu Gute Nacht
Wir setzen uns mit tranen nieder
Sorti l’an dernier, cet enregistrement de la grande Passion de Bach n’est pas passé inaperçu. Le soin apporté à cette production par l’équipe d’Harmonia Mundi et de Raphaël Pichon est digne d’attention. Ce monument sacré de la musique baroque ne mérite jamais moins que la plus grande préparation. Raphaël Pichon a attendu une dizaine d’années avant d’exécuter cette grande oeuvre avec l’ensemble qu’il a fondé, Pygmalion.
L’interprétation que l’on remarque, tant au niveau instrumentale que vocale, est d’une grande qualité. Le double choeur mixte résonne pleinement dans l’espace, sans lourdeur. On note, en général, une direction légère et des tempos juste assez rapides qui ne dérangent pas trop. Une chose est sûre, on est très loin des anciennes gravures romantiques des années soixante où tout était englué et empesé dans des débits d’une extrême lenteur. (Otto Klemperer EMI)
Raphaël Pichon propose plutôt une approche moderne, dans le sens qu’elle souligne plus la théâtralité que le sacré de l’oeuvre. Mais il le fait d’une façon discrète, sans trop de dramaturgie. La narration se fait toujours dans le plus bel écrin possible, au détriment parfois de l’affect émotionnel. C’est ce qu’ont remarqué certaines critiques, au sujet du manque d’émotion générale. Pour ma part, cet état de fait demeure toujours très subjectif à chacun.
L’équipe vocale est superbe, en partant de Julian Prégardien, convaincant et techniquement impeccable. Son rôle de l’évangéliste lui va parfaitement. Stéphane Degout, en un Jésus très sonore, est un peu différent de ce que l’on a entendu auparavant. Mais on s’y fait au fur et à mesure de ses apparitions. Mais la révélation, pour ma part, est l’alto Lucile Richardot avec sa voix androgyne à mi-chemin entre le contre-ténor et la mezzo soprano. Sensible et lumineuse, elle apporte quelque chose de nouveau à chacune de ses interventions.
La direction des choeurs n’est jamais statique. Les voix sont phrasées avec mouvement et grâce. Et parfois le chef les fait chanter a cappela dans certains chorals, produisant un bel effet très recueilli.
Cette Passion, à défaut de toucher par une métaphysique à la Leonhardt, ou prenante comme celle d’Harnoncourt, est tout de même digne par ce qu’elle apporte de nouveau à l’auditeur d’aujourd’hui. Soignée et parfaite dans son exécution, la très belle Passion de Pichon prendra sa place au côté des plus grandes.