Archive pour Les Sommets

Bruch et Britten. Concertos pour violon. Kerson Leong. Philharmonia Orchestra. Patrick Hahn.

Posted in Britten, Bruch with tags on 4 mai 2023 by René François Auclair

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Benjamin Britten (1913-1976): Concerto en Ré mineur op.15 (1939)

Max Bruch (1838-1920): Concerto no.1 en Sol mineur op.26 (1864-66)

In Memoriam op.65 (1893)

Kerson Leong, violon Guarneri del Gesu, ex Baumgartner. (Canimex)

Enregistré à Fairfield Halls, Croydon, UK en 2022.

Ingénieur du son: Mike Hatch.

Alpha Classics. 2023. Alpha 946. 73m.

Appréciation: Sommet du Parnasse******

Deuxième mouvement du Concerto de Britten (extrait)

Adagio du concerto de Bruch (extrait)

In Memoriam de Bruch

Kerson Leong est né à Ottawa en 1997. Il a commencé très tôt l’apprentissage du violon. Quelques années plus tard, il a gagné de nombreux prix, dont le fameux Yehudi Menuhin Competition en 2010. Depuis ce jour, la vie du violoniste canadien a radicalement changé. Son mentor, Augustin Dumay, déclare que son protégé est l’un des plus grands violonistes du 21e siècle. La critique musicale est dithyrambique. Le Monde, Classica, Diapason, Gramophone, The Guardian, pour n’en nommer quelques-uns, sont tous d’accord pour affirmer qu’il fait partie des grands de ce jour. Après avoir passé entre les mains d’Analekta et Warner Classics, le voici maintenant chez l’excellent label Alpha Classics, où le musicien s’est fait remarqué sur un disque consacré aux sonates de Ysaÿe. Maintenant, le violoniste propose deux concertos complètement à l’opposé l’un de l’autre. Le premier, de Britten, une oeuvre difficile et troublante, et celui de Bruch, d’un classicisme réconfortant.

Le Concerto de Max Bruch est, depuis sa création, l’un des plus connus du répertoire. Grand concerto de l’époque romantique, il a éclipsé à lui seul toutes les oeuvres du compositeur. C’est une oeuvre généreuse, virtuose, d’un lyrisme attachant. Bruch avait fait appel au célèbre violoniste Joseph Joachim pour ses conseils, le compositeur n’étant pas violoniste de formation.

Kerson Leong nous saisit dès l’introduction du premier mouvement. Disons le tout de suite, nous sommes en présence d’un absolu dans le monde du violon. Justesse de son inouïe, plénitude et finesse, lyrisme et intensité, ce violon nous chavire l’âme. C’est de la grande inspiration, qui se présente au détour d’une formidable maîtrise technique. L’Adagio, célèbre chant du coeur, émeut et soutire les larmes. Coulant comme une rivière, belle comme une déclaration d’amour, Leong l’interprète pourtant d’une manière pudique, sans trop d’emphase, se réservant un vibrato subtil pour en décrire les états d’âme. C’est si beau. Le Philharmonia, très organique et mouvant, est d’une chaleur d’accompagnement idéale. Patrick Hahn, jeune chef autrichien, a réussi à créer une fusion palpable des musiciens avec le soliste.

Le Concerto de Britten, composé en 1939, est une oeuvre dite sérieuse, avec, comme toile de fond le tragique de la guerre. On dit que Britten présenta la partition au légendaire Jasha Heifetz (1899-1987), celui-ci la trouvant injouable. Les défis techniques sont nombreux et demande au musicien un niveau d’engagement total. Kerson Leong a choisi cette oeuvre particulière en lien avec les événements mondiaux actuels. Concerto aux différents états psychologiques, il débute presque comme une danse espagnole, mais change rapidement en férocité cinglante. Il se conclut par une pathétique Passacaille, constat quasi-désespérant sur la nature humaine. Ce n’est visiblement pas un concerto qui  »fait lever les foules », selon James Ehnes, célèbre violoniste canadien.

Au-delà des passages d’une virtuosité hallucinante, où le musicien livre une bataille sans merci, Kerson Leong réussit à nous bouleverser. Le deuxième mouvement est si brillant, morceau de bravoure, qu’il procure des moments indescriptibles. Des aiguës extrêmes, (des cris selon Leong), staccatos endiablés, glissandos vertigineux, tous parfaitement maîtrisés, Leong va encore plus loin jusqu’à un point de non-retour. Un sommet dans l’interprétation de cette oeuvre moderne, qui prend tout son sens aujourd’hui. Pour le musicien, si jeune, mais déjà grand, c’est la consécration. Rien de moins.

Unicum. Leuven Chansonnier. Ensemble Leones.

Posted in Anonyme with tags on 6 mars 2023 by René François Auclair

2KULTURE LOGO SQUARE MASTERNew Songs from the Leuven Chansonnier (c.1470).

Ensemble Leones. Marc Lewon, direction.

Enregistré à St-Leodegar Kirche, Grenzach, Allemagne.

Enregistré en juillet 2021. Ingénieur: Michaela Wiesbeck.

Naxos. 2023. 8.574395. 74m.35s.

Appréciation: Sommet du Parnasse******

Ou beau chastel est prisonnier

Ou beau chastel est prisonnier mon cueur
de celle ou monde ou a plus de doulceur,
beaulté, bonté [et] courtoisie aussi,
et touteffoix ne peult avoir mercy
n’alegement de sa dure langeur.

En atendant vostre venue

En atendant vostre venue,
mon bien que je desire tant,
une heure me dure bien cent
quant de vous seul je pers la veue.

Bien souvent seullete, esperdue,
je passe mon temps en pleurant.

Mais bon Espoir m’a maintenue
et de son bon gré m’asseurant
que je vous reverray briefment,
Qui en joye m’a entretenue.

Par Malle Bouche la cruelle (arr.Mark Lewon)

Oublie, oublie

Oublie, oublie, oublie, oublie, [oublie],
Oublie, oublie, [oublie] tes dolours,
Leal amant, car venus sont les jours
Que de Dangier ne donne[s] une oublie.

Le Leuven Chansonnier est un recueil de pièces qui a été découvert en 2015 dans la ville du même nom (Louvain) en Belgique. C’est un petit livre dont la reliure originale est demeurée intacte. Il aurait été copié vers 1470 dans la vallée du Loire. Le parchemin contient environ 50 pièces, la plupart anonymes. Pour le monde de la musique ancienne, cette découverte sensationnelle vaut celle d’archéologues découvrant une nouvelle tombe en Egypte!

Les chansons ont été écrites, pour la plupart, dans un vieux français. Celui-ci est d’ailleurs fort bien prononcé par les membres de l’Ensemble Leones. Les voix sont particulièrement claires, d’un lyrisme d’une grande pureté. On aime également les différents timbres vocaux de chaque intervenant, apportant une belle variété de textures. De forts beaux arrangements instrumentaux accompagnent les chanteurs. Il y a le luth, vielle ou violon de la Renaissance, et une viola d’arco. Ce trio à l’ancienne, minimaliste, nous offrent à l’occasion des intermèdes. Les oeuvres ont été écrites en forme du rondeau, répétées comme dans un cycle perpétuel. L’effet musical procure un genre de trans hypnotique, se balançant toujours au gré d’un rythme binaire. La musique et les paroles apportent une quiétude bienheureuse tout le long de l’écoute.

Après de longues années dans l’obscurité, soit 545 ans, ce petit livre nous fait voir maintenant toute sa lumière. En lisant les paroles, (traduites également en anglais qui en facilite la compréhension), on y redécouvre l’art de la déclamation poétique de l’époque. Ces très anciens poèmes émeuvent encore. On y parle souvent d’amour éperdu, de charme ou de désir, sentiments que nous éprouvons encore cinq siècles plus tard. Ce disque remplit de merveilles est d’un envoûtement total.

Mahler, Gustav (1860-1911). La 5e Symphonie. Orchestre Symphonique de Montréal. Rafael Payare.

Posted in Mahler with tags on 4 mars 2023 by René François Auclair

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Symphonie no.5 en do dièse mineur. 1901-1902.

Enregistré à la Maison Symphonique, Montréal en août 2022.

Ingénieur: Richard King. Coproduit par Carl Talbot.

Pentatone. 2023. PTC 5187067. 67m.

Appréciation: Sommet du Parnasse******

Trauermarsch (extrait)

Sturmisch bewegt (extrait)

Scherzo (extrait)

Adagietto

Rondo-Finale (extrait)

La cinquième symphonie de Mahler est souvent connue uniquement que par son admirable Adagietto. Elle est considérée comme l’une de ses plus personnelles, véritable livre ouvert sur sa propre vie, elle renferme tous les thèmes qui lui sont chers. Suite à une grave maladie où il est venu près de mourir, Mahler entreprit ce grand projet symphonique, écrit en cinq mouvements. On pourrait la décrire comme les cinq étapes d’une vie. La mort (Marche funèbre). Les combats (2e mouvement). Le désir de vivre (Scherzo). L’amour (Adagietto). La joie triomphante (Finale).

Rafael Payare, récemment nommé directeur artistique de l’OSM, prend la relève de Kent Nagano qui en fut le chef de 2006-2020. Très estimé à Montréal, Nagano est demeuré chef émérite et vient à l’occasion diriger l’orchestre le temps d’un concert. Après Decca et Analekta, c’est maintenant au tour de Pentatone de collaborer avec l’ensemble montréalais.

Le label néerlandais, reconnu pour la qualité de ses enregistrements, a produit ici un album digne des plus grands. La présentation du livret est somptueuse, les photographies, les textes tous traduits en français, l’analyse éclairante de l’oeuvre par le musicologue Guy Marchand, les noms de tous les musiciens participants; on n’a pas lésiné sur les détails importants. Mentionnons la présence de l’ingénieur Carl Talbot, qui a travaillé souvent à la Maison Symphonique, apportant son expertise à l’équipe de Pentatone. Bref, on est à des années-lumières des malheureux livrets d’Analekta!

La prise de son? Elle est d’une indéniable présence, à la fois englobante et détaillée. Les cordes, en particulier, sont mises de l’avant sans restriction. L’auditeur est littéralement plongé au coeur de l’action. Les différents tableaux prennent vie, gorgés de couleurs somptueuses. Au disque, Mahler a été souvent restitué de manière explosive et parfois stridente. À l’opposé, les ingénieurs de Pentatone ont réussi ici à adoucir les angles, offrant une écoute des plus agréables, et ce, malgré les passages parfois surchargés de musique par l’excessif Mahler!

L’interprétation? Rafael Payare charge l’orchestre d’une énergie irrésistible, sans jamais être outrancier ou en perte de contrôle. Il y a beaucoup de chaleur dans son approche, la cohésion et la rigueur n’y faisant jamais défaut. L’expression est juste, évitant la grandiloquence. Il sait capter l’attention par une direction ferme, gardant sous son pouvoir toutes les forces qui s’y meuvent. On sait à quel point la musique de Mahler demande un niveau extrêmement élevé d’exécution. Ici, l’OSM fait preuve d’une incroyable unité organique, jouant avec une implication nouvelle. Les musiciens semblent dynamisés (fugato début rondeau-finale!!!) et offrent également de splendides passages solos. La section des cors, digne de leur réputation, est d’une justesse particulièrement magnifique.

Pour le célèbre Adagietto, Payare a choisi un tempo plus léger, qui se lit plus comme un Andante. Mais ce qui m’a le plus fasciné, c’est la façon qu’il a d’en réciter le discours. À proprement parlé, comme si la musique prenait la forme d’une conversation, subtilement improvisée, comme une confidence. C’est si beau, prenant, on écoute les yeux fermés. Mahler parle avec son coeur et s’adresse à Alma, sa femme… Rafael Payare vient de nous convaincre totalement. Une ère nouvelle vient de se lever à Montréal. Un grand disque.

Brahms (1833-1897) Intermezzi op.117/ Klavierstück op.118-119. Lars Vogt.

Posted in Brahms with tags on 10 février 2023 by René François Auclair

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6 Pièces pour piano op.118 (1893)

4 Pièces pour piano op.119 (1893)

Enregistré à Deutschlandfunk Sendesaal en novembre 2002.

Ingénieur: Karl-Heinz Stevens.

Warner Classics/EMI. 2023.5419749879. 70m. (format numérique).

Appréciation: Sommet du Parnasse******

Intermezzo op.117 no.1

Intermezzo op.118 no.2

Intermezzo op.119 no.1

Le pianiste allemand est décédé en septembre dernier d’un cancer du foie. Il avait 51 ans. Lars Vogt s’est fait connaître comme soliste, puis chambriste avec Christian et Tanja Tetzlaff, mais également comme chef d’orchestre. Il a produit un volume considérable d’enregistrements qui ont été souvent louangés. La Warner Classics a récemment réédité ce volume consacré aux dernières oeuvres pour piano de Brahms, sans doute pour rendre hommage à ce pianiste d’exception. Produit en 2002, alors par EMI, Vogt était déjà considéré comme un favori pour interpréter Brahms.

Pour jouer ces oeuvres crépusculaires, Vogt s’est limité à la confidence la plus intime du compositeur. Des tempos extrêmement lents font figure d’une procession quasi funéraire. Le toucher est parfois à peine enfoncé sur les notes, produisant un effet émotif à fleur de peau, d’une mélancolie rêveuse. Brahms alors à la fin de sa vie, contemple avec nostalgie son passé, ses amours, ses souvenirs personnels. D’ailleurs l’opus 119 fut dédicacé à Clara Wieck-Schumann, amie et confidente du compositeur dont il fut jadis profondément amoureux.

Ces pièces solitaires sont magnifiques, traduites par le musicien de la manière la plus poétique qui soit. En les écoutant, elles semblent se dissoudre et prendre l’aspect d’un in memoriam. Triste et beau comme un masque mortuaire, comme semble le suggérer la pochette de l’album. RIP Lars Vogt (1970-2022).